PRESCRIPTION DES ANTI-INFLAMMATOIRES NON STÉROÏDIENS


Ph. Bertin P. Vergne
Sommaire de l'article

LA CASCADE DE L'ACIDE ARACHIDONIQUE ET LE NIVEAU D'ACTION DES AINS
LE ROLE DES PROSTAGLANDINES ET L'INTERET DE LA DECOUVERTE RéCENTE DES DEUX ISOFORMES COX 1 ET COX 2 DE LA CYCLO-OXYGENASE
QUELQUES DONNEES SIMPLES DE PHARMACOLOGIE EXPLIQUANT CERTAINES REGLES ESSENTIELLES DE PRESCRIPTION DES AINS
PERSPECTIVES THERAPEUTIQUES ANTI-INFLAMMATOIRES
Service de rhumatologie et de thérapeutique - CHU Limoges

Bien que les phénomènes inflammatoires soient multifactoriels, le rôle primordial des prostaglandines pro-inflammatoires (PGE 2, PG I2, etc...) dans la génèse de l'inflammation, de la douleur et de la fièvre reste incontesté. C'est pourquoi les anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS), médicaments dont un des modes d'action préférentiel est l'inhibition de la synthèse des prostaglandines, sont largement utilisés pour lutter contre l'inflammation et la douleur. Afin d'optimiser leur prescription en pratique médicale quotidienne, il est nécessaire de mieux connaître leur niveau d'action sur la cascade biochimique de l'inflammation ; leurs effets respectifs sur les deux isoformes COX 1 et COX 2 de la cyclo-oxygénase conditionnant leurs effets anti-inflammatoires attendus et leurs effets indésirables ; quelques notions simples de pharmacologie indispensables à la prescription ; les recommandations légales encadrant cette prescription.
 
Enfin, les données actuelles de la recherche dans le domaine des anti-inflammatoires suggèrent une fort probable amélioration thérapeutique en ce domaine mais il faudra attendre l'épreuve du temps et de l'expérience clinique pour savoir si les espoirs actuels se transformeront en réelle avancée thérapeutique.
 
 
LA CASCADE DE L'ACIDE ARACHIDONIQUE ET LE NIVEAU D'ACTION DES AINS
Les AINS ont une action principale, qui en fait d'ailleurs leur spécificité : l'inhibition d'une famille enzymatique nommée "cyclo-oxygénase" (schéma 1). A titre de comparaison, les glucocorticoïdes, médicaments ayant un fort pouvoir anti-inflammatoire, agissent en amont en inhibant la phospholipase A2, mais peuvent aussi inhiber le complexe "cyclo-oxygénase".
Sous le terme habituellement utilisé de cyclo-oxygénase se cache en réalité un complexe enzymatique qui se nomme prostaglandine H2 synthétase (PGHS), fait de l'action successive d'une cyclo oxygénase (COX) et d'une péroxidase (POX).
Après ces deux étapes enzymatiques interviennent, grâce à des enzymes spécifiques de certaines cellules, les synthèses de différentes prostaglandines et thromboxanes (schéma 2).
 
Schéma 1

Schéma 2


Schéma 3

 
LE ROLE DES PROSTAGLANDINES ET L'INTERET DE LA DECOUVERTE RéCENTE DES DEUX ISOFORMES COX 1 ET COX 2 DE LA CYCLO-OXYGENASE
Très schématiquement, les prostaglandines sont responsables de l'homéostasie de certaines fonctions et sont, par ailleurs, lors de situations pathologiques, sécrétées anormalement sous l'effet d'un stimulus pro-inflammatoire : elles génèrent alors la réaction inflammatoire.
Ainsi, physiologiquement, le thromboxane A2 (TX A2) régule l'agrégation plaquettaire, les prostaglandines I2 (PGI2) sécrétées par l'endothélium gastrique confèrent au mucus ses propriétés protectrices de la muqueuse gastrique, et l'action vasodilatatrice des prostaglandines E2 (PGE2) assure le maintien du flux sanguin rénal.
Ces propriétés physiologiques des prostaglandines sont issues de la voie de la cyclo-oxygénase de type 1 (COX 1), isoforme constitutionnelle et non inductible de la cyclo oxygénase, s'exprimant dans l'ensemble de l'organisme à l'état physiologique.
A l'inverse, une stimulation pro-inflammatoire (traumatisme, cytokines...) conduit à la synthèse de PGE 2 et PGI 2 qui sont responsables d'une vasodilatation (générant rougeur et œdème), d'une sensibilisation des nocicepteurs à la bradykinine et l'histamine (responsables de la douleur) et de la fièvre (en co-action avec les cytokines IL1 et IL6).
Cette surproduction de prostaglandines pro-inflammatoires est issue de la voie cyclo-oxygénase de type 2 (COX 2), isoforme inductible de la cyclo-oxygénase, ne s'exprimant qu'au sein du site inflammatoire.
Les AINS inhibent à la fois la COX 2 produisant ainsi leurs effets bénéfiques (effet anti-inflammatoire, antalgique et antipyrétique) et la COX 1 générant ainsi une partie de leurs effets indésirables (pouvoir anti-agrégant plaquettaire allongeant le temps de saignement ; rôle délétère sur la muqueuse gastrique : gastrite, ulcère gastro-duodénal, hémorragie digestive ; baisse du flux sanguin rénal : insuffisance rénale) qui limitent leur utilisation.
Le concept COX 1 et COX 2 schématisé ainsi permet de comprendre les espoirs mis dans l'inhibition sélective (ou préférentielle) de la COX 2. Cette sélectivité peut se définir par le rapport COX 1/COX 2, égal au rapport IC 50 COX 1/IC 50 COX 2 ; l'IC 50 étant la concentration de l'AINS nécessaire à inhiber 50 % de l'activité COX 1 ou COX 2.
Pour un AINS donné, plus le rapport COX 1/COX 2 est élevé, plus cet AINS est préférentiellement actif sur COX 2 ; ceci suggère donc, du fait des données sus-citées, qu'il est potentiellement moins responsable d'effets indésirables, notamment digestifs, qu'un autre AINS ayant un rapport COX 1/COX 2 inférieur. Ces considérations sont extrapolées des données in-vitro et confirmées, dans certains cas, par les données cliniques.
Néanmoins, ces données récentes méritent d'être confirmées par des études ultérieures, portant entre autre, sur des médicaments actuellement en phase de développement et dont la sélectivité sur la COX 2 est nettement supérieure aux AINS actuellement commercialisés.
Les glucocorticoïdes, inhibent, outre la phospholipase A2, la production de cyclo-oxygénase de type 2 (COX 2) mais pas celle de type 1 (COX 1). Cette notion est intéressante et doit être mise en parallèle à l'expérience clinique de la prescription de glucocorticoïdes qui consacre leur moindre toxicité pour la muqueuse digestive, en comparaison aux AINS.
 
 
QUELQUES DONNEES SIMPLES DE PHARMACOLOGIE EXPLIQUANT CERTAINES REGLES ESSENTIELLES DE PRESCRIPTION DES AINS
Dérivés pyrazolés
 
Butazolidine
phénylbutazone

Dérivés indoliques 
 
Indocid
indométacine
 
Arthrocine
sulindac

Dérivés aryl-carboxyliques
Brufen
 
ibuprofène
Cebutidflurbiprofène
Cinopalfenbufène
Naprozynenaproxène
Apranaxnaproxène (sel sodique)
Profénidkétoprofène
Surgam
 
 
 
 
 
 
acide tiaprofénique
Minalfènealminoprofène
Voltarènediclofénac
Lodineétodolac

Oxicams
Feldènepiroxicam
Tilcotilténoxicam

Fenamates
Niflurilacide niflumique
Ponstyl
 
 
acide méfénamique
Tableau 1 : Classification non exhaustive des AINS par famille clinique
GroupePrincipaux AINSRecommandations

1PyrazolésEffets indésirables graves conduisant à une restriction d'utilisation

2Oxicampiroxicam (±ß cyclodextrine)
ténoxicam
méloxicam
aryl carboxyliques
etodolac
fenbufène
fentiazac
nimesulide
Risque élevé ou insuffisamment étudié conduisant à restreindre les indications aux affections rhumatologiques sévères

3Aryl carboxyliques
alminoprofène
flurbiprofène
ibuprofène
kétoprofène
naproxène
acide tiaprofénique
diclofénac
 
Fénamates
acide méfénamique
acide niflumique
 
AINS inscrits en liste II à indication plus large
Tableau 2 : Classification non exhaustive des AINS actuels
L'absorption digestive des AINS (qui sont des acides faibles) est excellente, ce qui leur confère une bonne biodisponibilité par voie orale et limite considérablement l'intérêt des formes parentérales.
La liaison protéique est très forte, souvent supérieure à 99%. Les AINS sont ainsi capables de déplacer d'autres médicaments de leurs sites de fixation protéique lorsqu'ils sont co-prescrits. Ce déplacement protéique conduit à une plus grande fraction libre (partie active du médicament) de la molécule déplacée. Le type même de cette intéraction médicamenteuse est le déplacement des anti-coagulants oraux (anti-vitamines K), générant un risque d'hémorragie : l'association AINS - anti-vitamine K est donc contre-indiquée. Il en est de même avec les anti-diabétiques oraux de type sulfamides.
 
Le métabolisme des AINS est généralement hépatique et l'élimination rénale : ceci conduit à l'extrême prudence chez le sujet âgé, sujet dont les fonctions hépatiques et rénales sont souvent perturbées. La demi-vie plasmatique des AINS conditionne leur rythme d'administration :
- un AINS à demi-vie longue (supérieure à 24 heures) est pris une seule fois par jour,
- un AINS à demi-vie courte (2 à 6 heures) est pris en 3 prises quotidiennes,
- un AINS à demi-vie intermédiaire (12 à 18 heures) est donné en une ou deux prises par jour.
La classique classification "chimique" des AINS (tableau 1) n'a pas d'intérêt pour la prescription pratique de ces médicaments.  
En revanche, la classification des AINS en groupe 1, 2, 3, (et 4) est à prendre en compte actuellement (tableau 2).
 
Le groupe 1 est constitué par les pyrazolés dont les indications sont très restreintes du fait de leurs effets indésirables graves : en pratique la phénylbutazone dont il ne reste qu'une spécialité (Butazolidine ®) est réservée aux poussées de spondylarthropathie en cure courte.
Le groupe 2 comprend les AINS à risque élevé ou encore insuffisamment apprécié (comme par exemple pour les AINS récemment commercialisés qui sont systématiquement inscrits en liste I) : il s'agit des AINS de liste I excepté les pyrazolés. Leur prescription doit être prudente et réservée aux affections rhumatologiques sévères.
Le groupe 3 correspond aux AINS inscrits en liste II dont la prescription peut être plus large du fait d'une meilleure tolérance globale.
Enfin le groupe 4 comprend l'aspirine et les AINS faiblement dosés utilisés comme antalgiques.
Cette classification en quatre groupes peut guider le clinicien dans le choix d'un AINS, en tenant compte aussi de la demi-vie et de la pathologie à traiter.
Néanmoins il est fort probable que dans les années à venir la classification basée sur la sélectivité préférentielle de la COX2 se substituera aux classifications actuelles pour devenir un outil de choix de prescription.
REGLES ELEMENTAIRES DE PRESCRIPTION DES AINS
Les AINS, puissants anti-inflammatoires et antalgiques, sont prescrits dans toutes les conditions cliniques nécessitant de lutter contre l'inflammation ou contre la douleur.
Il faut savoir que si cette classe thérapeutique est la classe la plus prescrite au monde, elle est aussi, malheureusement, celle qui génère le plus d'effets indésirables dont certains peuvent être graves.
Aussi, avant de prescrire un AINS, il faut s'assurer de l'absence de contre-indication (tableau 3) et d'interaction médicamenteuse potentielle (tableau 4) et il est nécessaire de respecter rigoureusement les recommandations d'utilisation (tableau 5) que représentent les références médicales opposables.
 
  • Ulcère gastro-duodénal en évolution
  • Hypersensibilité à un AINS et/ou à l'aspirine
  • Insuffisance hépatique sévère
  • Antécédent allergique (asthme, urticaire, rhinite allergique) favorisé par l'aspirine ou un AINS
  • Enfant (certains AINS peuvent être néanmoins prescrits chez l'enfant)
  • Dernier trimestre de la grossesse ou allaitement
  • Tableau 3 : Principales contre-indications des AINS
    (liste non exhaustive, variable d'un AINS à un autre)
  • AINS et anti-coagulants oraux : contre-indications
  • AINS et antidiabétiques oraux sulfamides : association déconseillée
  • AINS et Méthotréxate à forte dose (>15mg/semaine) : contre-indication
  • AINS et diurétiques : contre-indication,
    et IEC : contre-indication
  • AINS et Lithium : contrôler la lithémie
  • AINS et ticlopidine : contre-indication
  • Tableau 4 : Principales interactions médicamenteuses des AINS
      
     
     
     
     
     
     
     
     
     
    Il n'y a pas lieu de poursuivre un traitement par un AINS lors des rémissions complètes des rhumatismes inflammatoires chroniques et en dehors des périodes douloureuses dans les rhumatismes dégénératifs.
    Il n'y a pas lieu de poursuivre un traitement par un AINS au-delà d'une période d'une à deux semaines et sans une réévaluation clinique dans les lombalgies aiguës et/ou lombosciatiques aiguës et dans les rhumatismes abarticulaires en poussée.
    Il n'y a pas lieu d'associer un anti-ulcéreux (Misoprostol ou Oméprazole) au traitement par un AINS sauf chez les sujets à risque digestif pour lesquels cette association constitue l'une des précautions possibles.
    Il n'y a pas lieu car dangereux, de prescrire un AINS à partir du 6èmemois de la grossesse, sauf indications obstétricales précises.
    Il n'y a pas lieu de prescrire un AINS à des doses supérieures aux doses recommandées.
    Il n'y a pas lieu de prescrire un AINS par voie intra-musculaire au-delà des tout premiers jours de traitement, la voie orale prenant le relais (la voie parentérale ne diminue pas le risque digestif, comporte des risques spécifiques et n'est pas plus efficace au-delà de ce délai).
    Il n'y a pas lieu d'associer un AINS par voie générale à l'aspirine prise à doses supérieures à 500 mg/jour ou de l'associer à un autre AINS, même à doses antalgiques.
    Il n'y a pas lieu, car généralement déconseillé en raison du risque hémorragique, de prescrire un AINS chez un patient sous anti-vitamine K, ou sous héparine ou ticlopidine.
    Il n'y a pas lieu, particulièrement chez le sujet âgé, en raison du risque d'insuffisance rénale aiguë, de prescrire un AINS chez un patient recevant un traitement conjoint IEC-diurétiques, sans prendre des précautions nécessaires.
    Il n'y a pas lieu d'associer un traitement AINS à la corticothérapie, sauf dans certaines maladies inflammatoires systémiques évolutives (cas résistants de polyarthrite rhumatoïde, lupus érythémateux disséminé, angéites nécrosantes).
    Tableau 5 : Les références médicales opposables des AINS
    PERSPECTIVES THERAPEUTIQUES ANTI-INFLAMMATOIRES
    Les prostaglandines ne sont pas les seules molécules impliquées dans l'inflammation. Ainsi de nombreuses cibles thérapeutiques peuvent conduire au développement ultérieur de nouveaux médicaments permettant de lutter contre l'inflammation : par exemple, des médicaments anti-cytokine pro-inflammatoires (anti-IL 1, anti-IL 6, anti-TNF...).
    Néanmoins, des espoirs de progrès considérables sont investis dans le domaine de l'inhibition sélective de la cyclo-oxygénase de type 2. Ces progrès ne naîtront pas de l'activité mais plutôt de la meilleure tolérance des AINS sélectifs pour la COX 2. Plusieurs molécules sont en cours de développement, certaines en phase III. Pour l'une d'elle, le celecoxib, le dossier d'AMM européenne est même déposé.
    Très schématiquement, les données actuelles publiées dans la littérature montrent que les AINS sélectifs COX 2 sont aussi efficaces que les AINS de référence actuellement commercialisés, tant pour l'arthrose que la polyarthrite rhumatoïde.
    Pour la tolérance, certaines études endoscopiques (fibroscopie gastro-duodénale avant et après traitement) suggèrent que le nombre d'ulcères sous celecoxib (inhibiteur sélectif COX 2) est identique à celui sous placebo (de l'ordre de 4 à 5 %), donc très différent de celui sous AINS de référence (de l'ordre de 15 à 20 %).
    Ces données très évocatrices ne permettent pas néanmoins de savoir si le risque de complication grave sous AINS, à savoir les hémorragies digestives, sera plus faible avec les AINS sélectifs COX 2.
    Par ailleurs, les effets indésirables des AINS non liés à l'action sur la COX 1 (comme par exemple les réactions allergiques,) seront forcément identiques pour les AINS sélectifs COX 2 et les AINS actuellement commercialisés.
    Ainsi, la commercialisation proche des AINS sélectifs COX 2 (déjà en cours aux USA) pourrait à court terme modifier notre attitude thérapeutique dans le domaine des anti-inflammatoires, si bien sûr les données cliniques des études de phase III sont confirmées par l'utilisation large et pragmatique de ces médicaments. La prudence et la vigilance sont actuellement toujours de règle.
    Maîtrise Orthopédique n°89 - décembre 1999

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